Sandra Cornaz

Sandra Cornaz

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Porter bébé : les bienfaits pour sa santé et son bien-être.

Johann, 2 mois, est lové dans l’écharpe sur mon dos.

– Excusez-moi. Je ne voudrais pas vous déranger mais vous n’avez pas peur que votre bébé meure ?

– Euh… ben non, je le sens respirer dans mon dos.

– Ah bon ? Et il n’est pas un peu étriqué là ?

– Je crois qu’il aime bien être contenu en fait !

Quand je porte un de mes enfants, ou deux de mes enfants (un sur le dos, un sur le ventre), des gens viennent parfois me questionner. J’apprécie beaucoup qu’ils osent venir à moi et je trouve plutôt sympa qu’ils s’inquiètent de la santé et du bien-être de mes enfants.

Quelles sont les peurs principales des non-porteurs ?

Je comprends leur désarroi, leurs peurs, leur curiosité. C’est vrai qu’on voit actuellement plus souvent des enfants dans une poussette que contre le corps de leur(s) parent(s). C’est étonnant cette faculté qu’ont les Occidentaux à ‘éduquer’ leurs enfants différemment des trois autres quarts de la planète et à penser que leur approche, pourtant récente et artificielle, fait référence pour l’humanité ! Je ne dis pas qu’il faille fuir la poussette, le berceau et le transat ; je crois simplement bon pour un enfant d’être également porté et en peau-à-peau.

En maternité, j’ai entendu des professionnels suggérer aux mamans de se séparer de leur enfant la nuit suivant leur naissance. Leur intention était bonne : assurer le repos aux jeunes accouchées. Sauf que ces mamans ne fermaient pas l’œil de la nuit, essentiellement préoccupées par le bien-être de leur bébé. Tous ces nouveau-nés étaient regroupés dans une salle, chacun dans son berceau en plastique transparent, froid, statique et à l’odeur aseptisée (agressive pour leurs vibrisses et neurorécepteurs nasales). Lorsque j’ai proposé de porter ceux qui exprimaient un stress majeur, mes collègues se sont alarmés sur les risques d’une telle pratique : « Ah non, on ne va pas porter les bébés : il ne faut pas qu’ils s’habituent ! ».

S’habituer à quoi au juste ?

À rester sans réponse adéquate à l’expression de besoins primaires auxquels ils sont incapables de répondre par eux-mêmes ? À être séparés de la personne dont l’odeur, la voix, la chaleur et le grain de peau, mais aussi le visage les rassurent plus que toute autre chose au monde ? Au bercement permanent qui étaient jusqu’au matin même leur unique réalité ?

Certains de mes collègues professionnels de la petite enfance n’étaient pas en reste : « On ne peut pas porter les bébés qu’on accueille ici. Cela pourrait générer des jalousies entre les enfants. Sans oublier qu’ils prendraient notre odeur. Cela pourrait générer un déficit d’attachement entre la mère et son bébé, ou une haine contre nous. » En tant que maman, je sais combien il peut être désagréable de sentir sur son enfant le parfum d’une autre personne ou celui d’un autre lieu. Cependant, je suis toujours surprise de constater qu’une partie des personnes posant cette injonction soit justement celle qui se parfume avant de venir travailler !

Je suis par ailleurs certaine qu’il vaut mieux un parent agacé par l’odeur de l’environnement non familial de l’enfant plutôt qu’un parent épuisé par les pleurs d’un enfant en manque de portage… ce qui ne serait du reste pas sans conséquence pour leur attachement.

Tous ces professionnels sont indéniablement convaincus de bien faire, autant pour l’enfant que pour son parent et ceux qui les entourent. Leur souhait est notamment d’enseigner à l’enfant la patience, le partage, la frustration. Selon eux, l’enfant socialisera et développera de ce fait des stratégies d’adaptation adéquate au monde dans lequel il vit. Encore des rudiments du XIXième siècle avec les théories de psychiatres ayant créé le concept d’« éducation », avec l’entrée dans l’ère industrielle et la montée en puissance de l’individualisme associé à la commercialisation d’objets (inutiles) de puériculture…

Quels sont les avantages du portage pour votre bébé ?

Dans le reste du monde, les bébés sont portés. Par leurs parents mais aussi par les enfants et les autres adultes de la communauté qui les relaient. À en juger chez le porteur la forme de sa hanche parfaitement sculptée pour accueillir un petit porté d’une part, et chez le nouveau-né le réflexe d’agrippement extrêmement puissant et sa capacité innée à enrouler le dos en relevant les genoux d’autre part, le portage est sans nul doute une évidence programmée par les lois de la nature.

Le bébé vit par ce biais un continuum entre la vie intra-utérine et la vie extra-utérine. Le portage rapproché et répété lui permet de retrouver dès sa naissance les contacts tactiles, la voix, l’odeur et les battements cardiaques du porteur, la chaleur de sa peau, les bercements, la sensation de contenance et de limite corporelle… Quoi de plus sécurisant pour lui ?

D’ailleurs, fin XXième, des professionnels tels que Françoise Dolto, Albert Grenier ou Frans Veldman notent qu’un enfant porté par sa base – même nouveau-né – présente une diminution des réflexes liés au stress et une augmentation parallèle de la fréquence et de la durée de contacts avec le monde. Des recherches récentes en neurosciences confirment leurs observations. Le continuum, en renforçant la sécurité affective du très jeune enfant, facilite le développement harmonieux de son cerveau encore immature et sa capacité à interagir de façon optimale.

  • Porter un bébé en peau-à-peau assure une thermorégulation à son corps et à son cerveau. Le corps de l’adulte adapte sa propre thermie aux besoins du bébé porté. Une étude a montré que les seins d’une maman allaitant des jumeaux régulaient différemment la température en fonction des besoins de chaque enfant. Une autre étude a conclu que le porteur transpire davantage en vue de rafraichir ou réhydrater le bébé porté si cela lui est profitable.
  • Le contact rapproché et fréquent avec la flore bactérienne et les toxines émises par le porteur est précieux pour le bébé qui développe d’autant mieux son système immunitaire et apprend ainsi plus rapidement à résister aux agents pathogènes.
  • La chaleur et le massage obtenus par le contact rapproché des corps favorisent la descente du bol alimentaire dans le système digestif, la digestion elle-même, et l’élimination (des gaz notamment !). La position verticalisée de l’enfant facilite l’évacuation par la cavité buccale des bulles d’air coincées dans la trachée ou dans l’estomac. Cela présente le double avantage de limiter à la fois la quantité de régurgitations et la fermentation douloureuse de gaz.
  • Porter un bébé est aussi un outil efficace pour décoder plus rapidement les signaux qu’il envoie et y répondre de façon appropriée. Les parents qui allaitent au sein ou qui pratiquent l’Hygiène Naturelle Infantile en témoignent souvent.
  • D’ailleurs, les parents porteurs développent une interaction étroite avec leur enfant. Ils sont nombreux à raconter que l’entourage s’adresse davantage au bébé quand il est porté plutôt qu’installé dans une poussette, un landau ou un transat. Cela serait une explication du développement chronologiquement anticipée de la parole chez de nombreux bébés portés. De plus, le bébé porté bénéficie de la possibilité de refuser la communication en se fouissant contre le corps du porteur.
  • Comme le bébé est à hauteur de visage, il peut accroitre sa mémoire des visages, profiter de la variété d’odeurs émises par les mamelons de sa maman allaitante ou par les haleines des locuteurs. Il entend de près les modulations des voix et peut même toucher l’intérieur de la cavité buccale du porteur (autre argument en faveur d’un développement plus rapide de la production de parole chez le bébé porté). En bref, un éveil des sens maximal !
  • Et l’intérêt du portage ne s’arrête pas là ! Bien porté, le bébé suit en toute sécurité les mouvements et les déplacements du porteur, ce qui développe la prise de conscience de son axe de soutien, la musculation de son dos et de sa nuque, le système vestibulaire responsable de l’équilibre. La position enroulée puis accroupie du bébé favorise par ailleurs la maturation correcte de la hanche. De quoi préparer activement et sans forçage ni tension son développement moteur, incluant l’apprentissage de la marche.
  • Les bercements, la thermorégulation, la contenance, la sécurité affective et physique, la position arrondie et la possibilité de se fouir offrent un autre avantage certain au bébé porté : il peut dormir sereinement, à tout moment, en tout lieu et peut enchainer plus aisément les cycles de sommeil. Porter est de fait un excellent moyen d’accompagner l’enfant dans le sommeil et de respecter l’évolution incessante de son rythme les premières années de vie.
  • Une assistante maternelle me disait que, probablement grâce à tous ces bienfaits, elle avait relevé près de 70% de pleurs en moins par jour depuis qu’elle portait les bébés accueillis.
  • Il y a d’autres bienfaits du portage, notamment chez les bébés douloureux ou chez les bébés prématurés, chez les bébés présentant des troubles neurocognitifs spécifiques ou chez des enfants présentant certaines pathologies physiologiques.

Ce que vous pouvez retenir est que les conséquences du portage sont multiples et dépassent toutes les espérances d’un parent, qui veut le meilleur pour son enfant. L’enfant s’en trouve sécurisé physiquement, psychiquement, émotionnellement et affectivement.

Son bien-être ainsi accru (ocytocine en pagaille !) favorise l’attachement porteur-porté. Cette sécurité de base assure à l’enfant de s’ouvrir au monde en toute quiétude, d’abord par ses sens puis par ses mouvements, enfin par ses déplacements et ses explorations. C’est lui qui, progressivement, vous fera savoir qu’il a moins besoin, puis qu’il n’a plus besoin d’être porté.

Cela ne donne-t-il pas à rêver ? Pourquoi ne pas tester ?

>>> Et vous, avez-vous remarqué des bienfaits du portage pour votre enfant ? sur ses coliques, sur ses pleurs, sur son sommeil, sur la communication, sur l’élimination, sur sa nutrition, sur son développement ou sa rééducation physique, sur sa sécurité intérieure… ?


Illustrations

  1. Ahmad Zahed from Unsplash
  2. Photos insérées dans l’article : photos familiales – Sandra Cornaz

Références

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