Sandra Cornaz

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Un accouchement sans péri à l’hôpital : Aurore raconte

Aurore, maman de deux enfants, vous raconte son deuxième accouchement. A l’hôpital par choix. Sans péri par désir profond. Soutenu à fond par son chéri du début à la fin.

Pendant mes grossesses, j’ai beaucoup lu de récits de sage-femmes et de doulas, en particulier ceux d’Ina May Gaskin* qui laissent une grande place aux témoignages de femmes. Ces histoires m’ont accompagnée, bercée, apaisée pendant les mois précédant la grande inconnue qu’était pour moi l’accouchement.

Je m’interrogeais beaucoup sur ce qui allait se passer dans mon corps. J’avais ressenti le même sentiment, adolescente, en attendant mes règles. L’anticipation, avec un mélange de peur et d’excitation. C’est pourquoi ces récits d’accouchement me semblent si importants. Ils créent du lien entre les femmes à des moments charnière de leur vie, proposent des récits de leur corps, et brisent les tabous et les portes fermées des salles d’accouchement.

Voici le récit de mon deuxième accouchement. J’aurais pu vous parler du premier, qui a été riche en apprentissages, mais c’est un souvenir plus douloureux même si l’issue en a été heureuse. En tout cas, il a déterminé le choix d’un accouchement en milieu hospitalier, choix que je n’aurais probablement pas fait, si je n’avais pas eu si peur pour mon premier nouveau-né. Voici donc le récit, tel que je l’ai écrit quelques jours après sa naissance, en mai 2016.

Dimanche 15, lundi 16 mai

Je sens que ça travaille. Le col se ramollit mais je ne suis pas prête. Patience, E.

Mardi 17 mai

Journée rayonnante. Je travaille et boucle un gros dossier avec concentration et un peu de fébrilité. A 16h des amis viennent nous rendre visite. Goûter bruyant et joyeux avec les enfants sur la terrasse, on parle de la naissance du petit dernier qui a quelques semaines.

J’ai à peine refermé le portail derrière eux à 19h que je sens les contractions monter. Je suis prête ! Je joue et ris avec mon fils, ce sont nos derniers moments à 3 ! Puis monte le coucher un peu avant 21h.

22h, ça se confirme, les contractions sont sérieuses. Faut-il attendre ?

Nous nous allongeons un petit moment pour prendre des forces, puis appelons notre baby-sitteuse officielle, mamy, un peu après 23h, pour partir à la maternité.

Je me rappelle distinctement avoir eu une conversation très calme avec elle, pour faire le point sur le programme de la nuit et du lendemain, en me balançant doucement sur mon ballon. Heureuse d’arriver à gérer mes contractions et d’avoir confiance en mes capacités de résistance.

Le trajet en voiture… c’est une autre histoire. Très difficile à gérer avec les contractions de travail. Marcher jusqu’à la voit… aaaaaah attends pause j’ai une contraction ! Hurler sur le périph pour essayer de gérer la douleur en position assise. Une vraie torture !

Arrivée à l’HFME [ndlr. Hôpital Femme Mère Enfant, à Lyon] vers minuit ! Les contractions commencent à être vraiment insoutenables.

Mon compagnon m’aide à tenir le coup en me donnant un soutien et surtout son corps à agripper, serrer, pour mieux supporter la douleur. Nous patientons 20 minutes, qui me semblent une éternité, en salle d’attente, assis.

Nous sommes aux urgences, mais pas celles de la maternité, toutes les femmes ont le ventre plat et me regardent médusées. A côté de moi une maman serre sa fille. Urgence gynéco ? Fausse couche ? La situation est terrible, tous les regards me semblent braqués sur mon ventre rond et je gère la douleur en silence.

J’ai appris plus tard que tous les services étaient saturés ce soir-là, et que le personnel m’a baladée en attendant qu’une salle se libère. La situation a empiré le lendemain, où d’autres mamans ont attendu de longues heures qu’une chambre se libère, assises dans les couloirs avec leur nouveau-né. Cette situation a finalement été une opportunité pour nous car elle a justifié mon départ précoce, moins de 2 jours après l’accouchement, pour libérer une chambre.

On me transfère enfin dans une salle d’examen. Le col est ouvert de 3 cm. Quel chemin à faire encore ! Je dois être monitorée 30 minutes, c’est la procédure. Contractions, et cœur du bébé. Je demande un ballon, car la salle physio n’est pas disponible. Le monito marche mal.

Au bout de 30 minutes, la sage-femme inquiète et agacée me demande de descendre du ballon, d’arrêter de bouger et de m’allonger sur le côté.

maternité nouveau né

Que c’est dur de subir les vagues de contractions toujours régulières (5 minutes) et de plus en plus fortes alors que je suis sur un lit !

Je m’accroche à mon compagnon, qui essaie de m’aider avec les points d’acupression que nous avons travaillés avec la sage-femme. L’idée est de dérouter le chemin de la douleur quand elle devient trop intense, en créant une douleur alternative sur un point sensible. Au fur et à mesure que la douleur monte et avec l’impossibilité de bouger pour la gérer, la concentration devient difficile à maintenir et je dois lui demander d’appuyer de plus en plus fort.

Les pincements ne suffisent plus à me soulager, je mords ma main jusqu’au sang et j’enfonce les ongles dans ma cuisse.

Primal, mais efficace, cette gestion de la douleur ne m’a finalement couté que quelques bleus alors qu’après la péri de mon premier accouchement j’avais eu le dos plié en deux pendant une semaine.

Soudain, je la sens ! E. pousse à chaque fin de contraction. Sa tête est là, et cherche la sortie. Elle fait des petits sauts dans mon ventre, comme un poisson dans un bocal, pour se faufiler plus vite. Je la guide, je lui parle, je la rassure quand son cœur monte à 160, 180.

Soudain, le moniteur bipe, son cœur s’emballe. La sage-femme accourt.

« Madame je vais vous examiner. Tiens… attendez, j’ai peut-être une bonne surprise, mais… il faut que je vérifie. Incroyable, vous êtes à 9,5 ! En moins d’une heure ! On file au bloc ! »

La douleur est intense, mais elle a changé. A la douleur diffuse des contractions s’ajoute un point de pression précis, celui de la tête d’E. sur le col, une douleur qui m’ancre au sol et me donne une force incroyable car l’attente est enfin finie ! C’est la course des soignants dans le couloir. On me propose un fauteuil roulant. Je ris – intérieurement, je ne pense pas pouvoir émettre un son clair, heureusement, mon traducteur officiel est là !

Je marche tant bien que mal, il est long ce couloir, je n’arrive pas à me redresser, mais mon homme me soutient – c’est physique pour deux, un accouchement !

Au bout de cet interminable couloir en L, la salle d’accouchement ! A peine le temps de me changer en blouse, pas de temps du tout pour poser une perfusion d’antibiotique, une contraction, la sage-femme essaie d’enfiler ses gants, je me place sur le côté, la position d’accouchement qui m’a toujours porté chance en milieu hospitalier (merci Bernadette de Gasquet !) , une autre contraction et la poche des eaux rompt.

« Attendez ! ne poussez pas ! »

(Rire intérieur ! C’est un besoin, un process tellement impérieux !)

Encore une contraction, et tu sors déjà E., ma petite combattante. Pleine d’énergie, prête à en découdre, et surtout tu as déjà faim !

Voilà mon accouchement rêvé : des conditions difficiles pour le travail car le service était débordé, mais mon compagnon et moi sommes restés dans notre bulle, et le personnel médical est resté en retrait, au point de faire de la figuration.

Pouvoir accoucher sans péri était une expérience que je voulais absolument vivre.

Ma fille a un être au monde simple et incroyable, comme si elle avait vécu cet accouchement comme un simple passage, sans aucun traumatisme.

De mon côté, le fait de laisser se dérouler l’accouchement naturellement m’a donné une force, une confiance en moi et une énergie énorme qui m’ont beaucoup aidée pour la suite.

Aurore


*Références

Gaskin, I. M. (2010). Spiritual midwifery. Book Publishing Company.
Gaskin, I. M. (2011). Birth matters: A midwife’s manifesta. New York: Seven Stories Press.
Gaskin, I. M. (2009). Ina May’s Guide to Breastfeeding. Bantam.

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  1. Hayes Potter on Unsplash
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