– Ça ne vous casse pas le dos de porter votre bébé comme ça ? Vous n’avez pas peur de la descente d’organes ?
– Euh… ben non, au contraire. En le portant depuis sa naissance, je me muscle grâce à lui en fait. Les cuisses, le dos, et même le périnée.
Les gens me regardent parfois bizarrement. Suspicieux.
Cela fait maintenant sept ans que je porte des enfants (les miens et parfois ceux des autres). Quand je porte mes enfants, je les sens sécurisés, heureux, soulagés. Et moi, je me sens nourrie d’amour et de liberté. Je nous sens en phase.
À mon sens, à part cela (qui est déjà magnifique), le plus grand intérêt du portage est de pouvoir vivre le quotidien et les expériences ensemble, tout en respectant les rythmes biologiques et physiologiques de chacun, les envies et les besoins différents du porteur et du porté, everytime, anywhere.
Je ne saurais probablement jamais assez grée à Aurélie, notre animatrice portage, des compétences qu’elle nous a transmises pendant les ateliers de portage. Elle nous a accompagnés plus de 10 heures : bienfaits et limites du portage, variétés des pratiques dans le monde, spécificité du portage en Occident, séance découverte de la pratique, séances de révision, séances complémentaires parallèlement à la croissance de nos enfants et à nos besoins à tous… Aurélie est d’ailleurs devenue la marraine de notre puiné tant sa contribution au bonheur de notre famille a été évidente pour nous !
À la naissance de chacun de mes enfants, j’ai été réconfortée par le continuum que nous offrait le portage. Je me sentais soudainement vidée, mais je gardais mon ventre « comme » rond et sentais la présence de mon bébé autant que je le souhaitais. Mon bébé n’était plus dans mon ventre, mais sur mon ventre ; plus en moi mais tout contre moi, dans sa position fœtale, avec des mouvements semblables à ceux que je connaissais d’avant l’accouchement. Quel bonheur pour moi de poser ma main sur le tissu l’enveloppant, et de ressentir ses petits mouvements !
Je suis vraiment une grande fan de la lenteur, de la douceur et de la tendresse de la séparation progressive que permet le portage.
Au-delà de cela, porter en écharpe, en sling, en mei-tai, etc. a été un moyen très efficace pour moi – qui donnais toute son attention et son énergie à mon nourrisson – de retrouver des moments de vie proches de ceux d’avant sa naissance.
Les bras libres, je pouvais prendre du temps pour moi : lecture, écriture, maquillage, rangement, cuisine, balades, siestes,… sans parler du bonheur de pouvoir me doucher ou me rendre aux toilettes !
J’ai aussi pu travailler et m’engager dans du bénévolat avec un bébé sur le ventre, parfois un ‘grand’ sur le dos. C’est en grande partie ainsi que j’’ai rédigé ma thèse de doctorat, participé à des réunions de travail, animé des ateliers parentalité et des conférences grands publics, facilité des célébrations pré ou postnatales. L’écharpe a aussi servi à les allaiter n’importe où et discrètement si j’en ressentais le besoin (à ce propos, le portage est un facilitateur d’allaitement, mais c’est encore un sujet à part entière qui fera l’objet d’un prochain article !).
Le portage a offert à notre famille beaucoup de confort. D’abord parce qu’une maman qui peut et qui sait prendre du temps pour elle (du moins, qui ne se sent pas acculée) va bien et sait mieux faire face aux moments critiques (nombreux quand on a des enfants, n’est-ce pas ?). Ensuite, parce qu’une maman qui se sent plus libre et qui peut garder un œil sur son nourrisson est davantage sécurisée et disponible pour les autres : jeux de société, lecture du soir, loisirs créatifs avec les aînés…. Enfin, parce qu’en portant un bébé en écharpe, le temps se libère pour chacun. Bébé dort ? Vous pouvez toujours vaquer à vos occupations : vous promener, faire les magasins, amener les aînés dans un square, visiter vos amis, regarder un film en amoureux… Bébé hurle ? En écharpe, il y a fort à parier qu’il se calmera plus vite et que le stress de la famille diminuera tout aussi vite.
Avec le portage, les déplacements avec bébé sont rendus faciles. J’ai voyagé en avion à l’autre bout du monde pour donner des conférences (et le portage a vraiment rendu les 15 heures d’avions faciles !). J’ai pu me rendre régulièrement en Belgique pendant plusieurs années pour me former à l’haptonomie, en évitant d’ajouter à mes bagages le poids et l’encombrement d’une poussette (qui m’aurait plus d’une fois mise en difficulté).
En ville, je ne subis pas les difficultés infrastructurelles liées aux escaliers, aux trottoirs surélevés, aux transports en commun bondés. J’ai pu faire de la randonnée en moyenne et haute montagnes. Je peux traverser la garrigue de mon enfance, avec ses vignes, ses chemins broussailleux et ses ruisseaux caillouteux sans m’inquiéter. J’ai même été me baigner en rivière avec mes enfants portés en sling !
Nous avons aussi voyagé quelques temps en trottinette et en vélo avec notre enfant en portage. Ce n’est pas très safe, je vous l’accorde (en même temps, quid de la sécurité sanitaire pour un nourrisson dans un métro bondé en plein hiver aux heures de pointe ? ou dans un bus bondé, contre son parent resté debout,et manquant de cogner son enfant à chaque freinage intempestif ?). Le portage d’un enfant par un adulte faisant du vélo est interdit par le Code de la route, au même titre que le casque est obligatoire pour les enfants. Pourtant, à ma connaissance, aucun dispositif spécifique n’existe sur le marché. Cela s’est révélé être un sérieux problème pour nous qui favorisons le vélo comme moyen de locomotion. Nous avons fait plusieurs tests, en vain. Nos nourrissons ont détesté le porte-cosy à installer sur le porte-bagage (lumière et vent dans les yeux). Leur périmètre crânien a permis l’ajustement d’un casque vélo à 13 mois révolus. Leur dos a été suffisamment musclé pour tenir seul assis sur un siège vélo, affronter les changements incessants de vitesse et les houles des routes alors qu’ils avaient plus de 8 mois (et encore…) Bref, tout cela pour dire que l’écharpe nous a sauvés la mise, safe ou pas safe, légale ou pas légale !
Outre cette question de la sécurité du portage, beaucoup de gens nous posent la question du risque d’hyperthermie que le corps-à-corps pourrait provoquer chez le jeune enfant porté contre un adulte. En fait, une étude a montré que le corps de l’adulte régule sa thermie en fonction des besoins de l’enfant porté, lui assurant une grande stabilité physiologique. Pour favoriser cela, quand nous voyageons, nous portons notre enfant sous notre manteau de portage et il est habillé comme en intérieur (ce qui a de plus l’avantage de diminuer le volume des bagages).
Il y a aussi ceux qui pensent que le portage fréquent aura des conséquences néfastes pour notre dos. Cela revient à ignorer que porter un enfant dès sa naissance permet un renforcement et un assouplissement musculaire progressifs, que porter tout près du corps répartit la charge, que le portage évolue (ventre, hanche, dos) et les systèmes également (écharpe, sling, mei-tai), que porter assez haut sur le buste et dans l’axe de sa base améliore la tonicité périnéale et la force des cuisses du porteur. Et ici, je ne parle pas des tractions que j’ai faites pour bercer mes enfants !
Mes proches ont vu ma transformation : de plaintive et douloureuse du dos, médicamentée sans cesse aux anti-inflammatoires, je suis dorénavant capable de porter la plus jeune de mes enfants plusieurs heures, voire de porter un enfant en mei-tai sur le dos, un autre sur les épaules et un autre encore, momentanément sur la hanche (au moins le temps d’un câlin rapide). Non, je ne fais aucun sport par ailleurs. Oui, je m’étire quotidiennement (avec un auto-massage Do-In, si vous voulez tout savoir).
Et puis, il y a les personnes qui me disent que le portage coûte cher car ils imaginent indispensable d’acheter aussi une poussette. Je vous rejoins, c’est ce que font la plupart des parents. Peut-être que les parents porteurs choisissent une poussette à moindre coût ? Chez nous, la poussette est utilisée par un des couples de grands-parents ; les autres portent à bras ou ont testé le portage en sling et en préformé.
Pour notre famille, en tout et pour tout, nous avons utilisé une écharpe tricotée, une écharpe sergé croisée, un sling et un mei-tai. Avec l’aîné et le cadet, nous avons utilisé tous ces systèmes selon les périodes. Avec la benjamine, nous avons utilisé uniquement l’écharpe en coton sergé croisé et le mei-tai.
Tous nous ont été offerts en cadeau de naissance et/ou achetés de seconde main (le tissus en est que plus souple !). Un budget de 100€ peut être suffisant pour acheter le matériel nécessaire au portage d’une fratrie. Mise à part le fait qu’il est facile de vendre le matériel qui ne sert plus, le retour sur investissement est inégalable, que ce soit pour les ateliers de portage ou pour le matériel lui-même.
Outre le gain de liberté, les mamans qui portent leur nouveau-né évoquent un attachement fort, très rapide et stable dans le temps. Des études en neurosciences ont directement relié cela au taux augmenté d’ocytocine – l’hormone de l’amour –, sécrétée par le cerveau en situation de bien-être, de contact en peau-à-peau, de bercements. Sentir son bébé respirer, sentir sa chaleur, le voir sourire aux anges durant son sommeil… autant de réassurance, de sécurité affective, de satisfaction globale, arguments qui devraient suffire en eux-seuls à vous donner envie de tester le portage !
Il y a aussi un bénéfice majeur sur la qualité relationnelle entre le porteur et le porté. Dans un article sur le portage et ses bienfaits pour le bébé, j’évoquais la diminution de la durée de pleurs sur 24 heures. Avoir bébé contre vous permet d’affiner progressivement la qualité de votre communication car l’interaction (notamment non-verbale) est constante. Sans que cela soit conscientisé, il en résulte une capacité accrue de la maman à comprendre son bébé. Des études ont d’ailleurs montré que les bébés portés obtiennent plus rapidement une réponse appropriée à leur besoin, les premières manifestations émises étant repérées et bien interprétées par le parent.
Vous ferez probablement le même constat que moi : porter son enfant permet de prendre la mesure des compétences d’un nouveau-né (et bien au-delà de ce qui m’avait été enseigné dans les formations de doula, auxiliaire de puériculture ou haptonome). Je savais que le nouveau-né sait communiquer, participer à son portage, manifester son besoin d’alimentation, de sommeil, de sécurisation, d’élimination des rots ou des gaz. Cependant, j’étais loin d’imaginer qu’un nouveau-né émet des signaux avant d’éliminer des urines et des selles (cf. mes articles ici et ici) ! Le portage a été un formidable vecteur pour rendre palpable cette compétence chez le nouveau-né. Je me suis même rendue compte qu’un nourrisson pouvait attendre quelques secondes que je dénoue le portage pour éliminer dans un contenant adapté !
Ces prises de conscience ont contribué à renforcer mon estime personnelle et la confiance en mes compétences de maman. Le portage m’a donné la sensation d’être apte à entendre et à comprendre la plupart du temps les besoins de mes enfants.
Plutôt qu’en parlant de l’Hygiène Naturelle Infantile (qui est peu re-connue), j’illustre plus souvent ce bienfait du portage en racontant mes sensations lors de l’installation de mes enfants sur le dos. Faire virevolter au-dessus de mon épaule mon bébé pour le placer sur le haut de mon dos, le laisser posé le court instant (qui a pu me paraitre très long) de nouer l’écharpe ou le mei-tai a été une expérience merveilleuse pour accroitre cette confiance en mes compétences de maman et en les compétences à se porter de mon enfant.
Dans cet article, je parle principalement de mamans porteuses, mais dans les faits, ces bénéfices, en lien direct avec la relation intime qui se tisse, sont tout autant émergents chez les papas ou toute autre personne qui porte l’enfant.
De mon expérience d’haptonome et de doula, porter est du reste un excellent moyen pour chacun de trouver et de prendre une place privilégiée auprès d’un enfant.
>>> Et chez vous, quelle a été l’expérience du portage ? Qu’est-ce cette pratique vous a apporté ? Y avez-vous vu des limites ?
Utilisez l’espace prévu à cet effet pour donner votre avis et raconter votre expérience !
Photos (from Unsplash)
- Steven Deghorn
- Annie Spratt
- Aswin
- Jenn Evelyn
- Sandra Cornaz
Références
Didierjean-Jouveau, C. S. (2014). Porter bébé. Jouvence Pratiques.
Prescott, J. W. (1996). The origins of human love and violence. Pre and perinatal psychology Journal, 10 : 143-188.
Van den Peereboom, I. (2017) [2006]. Peau à Peau. Technique et pratique du portage, Éditions Jouvence.
Zaoui-Grattepanche, C., Kuhn, P., & Pierrat, V. (2018). Le portage des nouveau-nés en peau à peau. Perfectionnement en Pédiatrie, 1, 2, 100-107.