« Mais qu’est-ce qu’il veut ? Je ne comprends pas !!! »
Je parie que vous vous êtes déjà dit ça. Vous avez fait appel à votre intuition ou au contexte pour en déduire le besoin de votre enfant, en vain peut-être ! Vous vous êtes sans doute dit : « Pourvu qu’il parle viiiite ! ». Vous vous êtes senti frustré et votre enfant plus encore. D’ailleurs, c’est pas compliqué, la crise a duré 20mn, au sol, sur le trottoir. Vous avez été déçu de vous sentir impuissant, agacé de ne pas trouver de solution adéquate ni pour lui, ni pour vous.
Pour le bonheur de mes enfants et le mien, j’avais vu une amie signer avec sa fille avant même ma première grossesse. Quand j’ai découvert qu’un nourrisson de 7 mois pouvait signer « encore », j’ai été littéralement époustouflée, tout autant qu’à l’instant où ce bébé a uriné dans le lavabo après que sa maman a signé « pipi ? ».
Signer pour compléter la parole et ainsi faciliter la communication avec un bébé m’a convaincue tout de suite.
J’avais donné des cours à la fac sur le développement de la parole chez les enfants. J’enseignais que, dès sa naissance, le bébé s’exprime de façon innée grâce aux mimiques et à des gestes parfois incontrôlés ou réflexes (pensez à votre bébé quand il grimace de douleur ou est en attente de nourriture). J’enseignais que le bébé apprend par imitation, aussi bien les gestes du quotidien (« coucou » « bravo ») que les gestes impliqués dans l’usage de la parole. Je savais que, chez un bébé normo-entendant, l’acquisition du geste précède celle de la parole (bébé pointe du doigt des objets pour les obtenir ou entendre leur nom). En effet, il faut plusieurs années pour maitriser les gestes articulatoires, lesquels nécessitent une grande précision de mouvement (langues et lèvres). Pour émettre les sons de sa langue maternelle, le jeune enfant doit de plus apprendre à cogérer la soufflerie (au niveau des poumons) et le système vibratoire (au niveau du larynx).
« Signer avec le bébé ne risque pas de freiner son apprentissage de la parole ? »
Moi aussi, j’ai posé cette question.
En doublant la parole du signe, bébé reçoit le message de façon multimodale : sur les plans auditif et visuel en même temps. Vous rendez le monde oral visible. Merveilleux, n’est-ce pas ? Vous permettez à votre bébé de comprendre plus tôt que le flux de parole est segmentable en unités de sens. De plus, vous lui facilitez l’accès au sens, car l’image du signe est plus proche du concept (i.e. le signifié) que ne l’est la chaîne de sons qui est encore plus arbitraire.
Comme produire un signe est plus simple pour un bébé que produire un ensemble de sons de sa langue, vous lui offrez la possibilité d’être acteur de la conversation dès son plus jeune âge. Vous vous ferez d’ailleurs peut-être surprendre par votre enfant de 9 mois quand il débutera lui-même l’échange pour demander à boire une seconde fois. Vous découvrirez peut-être que votre enfant est conscient que sa couche est souillée quand, à 15 mois, il demandera à être changé ! Vous serez attendri de le voir dire « merci » à 17 mois après que la voisine lui aura donné un biscuit, et vous serez satisfait de comprendre ce qui se passe en lui quand il signera « peur » quand le chien aura aboyé.
Bon, évidemment… Soyons honnête : même si vous gagnerez probablement plusieurs mois d’interaction avec votre bébé et allez sans aucun doute améliorer votre entente, votre complicité et votre bien-être à tous, vous passerez par des phases de bafouillage.
Par exemple, votre bébé va commencer par utiliser des signe-valise. À 12 mois, ma fille Séléna signait « encore » à propos, mais aussi à la place de « vouloir », « boire », « manger » et « téter ». Le contexte nous a été bien utile pour décoder ses attentes !
Par exemple, les premiers temps, votre enfant va signer de façon globale. Parallèlement à son développement psychomoteur, il va affiner le geste. À 17 mois, Séléna fait un geste pratiquement semblable pour signifier « vouloir », « manger », « chaud » et « merci ». Elle a bien compris que ces signes s’effectuent dans un espace proche (au niveau de la bouche), mais il lui faudra encore un peu de temps pour comprendre l’importance du déplacement ou de la configuration des doigts pour opposer le sens de certains de ces signes, et encore un peu de temps pour affiner la maitrise de son corps.
Toujours est-il que nous évitons beaucoup de frustration et que nous gagnons en satisfaction et en estime personnelle !
Le comportement de Séléna nous laisse supposer qu’elle a fait le lien entre la production d’un « signe » et l’action qu’elle obtient en résultat. De quoi lui donner le goût de communiquer !
Apparemment, la plupart des enfants qui ont bénéficié de cette association signe-parole parlent plus tôt. Autant pour notre aîné, nous l’avons peu constaté (il signait énormément mais a parlé relativement tard comparativement à la norme), autant pour notre cadet et notre benjamine, les gens nous l’ont fait remarquer ! Ces enfants entendants et signeurs possèderaient également un vocabulaire plus large et construiraient des phrases syntaxiquement plus complexes que leurs pairs.
Certes. Ces résultats sont tirés de statistiques. Il y a toujours des écarts à la norme ! Il n’en reste pas moins qu’aucune étude conclut que l’interaction signée pourrait induire un risque de retard de parole. Vous avez de fait tout à gagner à ajouter les signes à la parole quand vous vous adressez à votre bébé ! Et de surcroit, vous verrez, c’est très amusant et cela renforce votre agilité cognitive 🙂
Je vous donne des trucs et astuces simplissimes pour tester cette approche dans un prochain article !
Vous êtes intrigués ? Laissez votre commentaire !
A + !
Sandra Cornaz
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Bibliographie
Acredolo, L, Goodwyn, S. & Brown, C. (2000). Impact of symbolic gesturing on early language development. Journal of non behavior, 24 : 81-103.
Bertoncini, J. & De boysson-Bardies, B. (2000). La perception et la production de la parole avant deux ans. In M. Kail & M. Fayol (Eds.) L’acquisition du langage, le langage en émergence de la naissance à trois ans. PUF.
Bouhier-Charles, N. (2010). Les bébés signeurs : le langage gestuel avec bébé. France : Clermont-Ferrand. Jouvence.
Bouhier-Charles, N. & Companys, M. (2006). Signe avec moi. France : Angers. Monica Companys.
De Boysson-Bardies, B. (1996). Comment la parole vient aux enfants. France : Paris. Jacob