Sandra Cornaz

Sandra Cornaz

Appelez-moi !

Un accouchement inopiné à la maison

Johann, c’est un bébé mystère. On a découvert sa présence dans mon ventre  grâce à l’une de mes amies et son chéri, qui ont compris avant mon homme et moi que j’étais enceinte. Ils trouvaient que j’avais tous les symptômes de la jeune maman, tandis que je pestais après la radiologue qui avait refusé de me prendre en séance à cause de mon petit ventre ! Il faut dire que les deux derniers tests de grossesse et la prise de sang demandée par la médecin généraliste, effectués quelques jours avant, étaient négatifs ! Sans oublier que j’étais sans menstruations depuis un peu plus de deux ans…).

La naissance de Johann a été une autre belle surprise ! Alors que mon aîné est né par césarienne suite à un travail très long Johann est né à la maison en moins de deux alors que le moteur de la voiture tournait pour partir pour la maternité ! Un bébé arrivé si simplement que je ne l’ai pas senti glisser le long de ce rayon de pleine lune !

Voilà le récit de sa naissance, avec tout ce qu’il comporte de beau, de puissant, de déchirant, de poignant, de douloureux, de simple et de facile. La naissance de Johann m’a appris que je pouvais et savais lâcher prise, que je pouvais et savais ne pas tout contrôler. Et que lâcher prise et faire confiance à la puissance de mon corps est un cadeau.

Ce récit vous est offert dans toute sa durée, d’où la longueur de cet article^^.

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22h30 – mercredi 27 novembre

Wohoooo, c’est une contraction ça ! Bah dis donc, elle est bizarre cette contraction ! Elle est hormonale, c’est sûr ! Nathalie, la sage-femme qui nous accompagne sur cette grossesse et pour cet enfantement avait raison : j’ai été capable de différencier immédiatement la contraction hormonale des contractions mécaniques qui ont jalonné la grossesse. Je vais voir Flo, immense sourire aux lèvres :

J’avais oublié que ça serrait aussi fort les contractions ! Ça fait pas du bien ! Mais celle-là, elle était trop marrante ! Elle chatouillait ! Ça m’a pris super fort super bas, dans le pubis !

T’as peur ?

Nan, carrément pas ! j’suis troooop contente !!! C’était vraiment sensas’ ! C’est con que les mecs, vous ne puissiez pas vivre ça ! C’est trop kiffant de découvrir des sensations et des zones de son corps qu’on ressent jamais autrement ! C’est génial : je suis trop contente de revivre ça ! On va rencontrer maxibou !! Je vais me coucher au cas où ce soit pour demain ou que ça dure 3 jours de prétravail comme pour Louis !

Nathalie m’a conseillé de m’activer dans le cas de contractions diurnes, et de tenter de dormir dans le cas de contractions nocturnes. Je vais suivre son avis : elle a de l’expérience ! Je me prépare à aller dormir, mais range deux trois trucs dans la cuisine en passant, ajoute quelques affaires devant le sac à dos destiné au travail ici et à la maternité de Givors, puis je prends un bouquin et me glisse sous la couette. Au bout de 10 minutes, je me dis que ce n’est pas sérieux de retarder l’extinction des feux : on ne sait jamais… et si l’enfantement avait lieu demain ou s’éternisait ? Je m’endors en moins d’une minute, très confiante et euphorique, et je suis plongée dans des rêves fabuleux.

23h

Je suis réveillée par une contraction, très puissante. Je dors profondément malgré deux autres réveils soudains. Je souffle bruyamment pendant les contractions. Je me lève en urgence : j’ai la diarrhée ! Je pense à Armèle qui m’avait envoyé un sms : « surveille ton caca ! ». Armele, c’est mon amie sans tabou, j’adore son franc-parler ! Avec elle, l’accouchement, c’est une franche rigolade : selon elle, l’expulsion n’est rien d’autre qu’un énorme caca que l’on démoule par le vagin, les suites de couches des pets de foufoune et du sang plein le lit, et l’indicateur de l’imminence d’un accouchement : la diarrhée ! Je ris seule en pensant à elle et à ses associations d’idées !

Je retourne me coucher, mais vu que pour l’enfantement de Louis, il m’était impossible de dormir entre deux contractions, ni de faire quoi que ce soit d’autre que de penser alors que j’étais simplement en prétravail, je prends deux comprimés d’antispasmodique : cela devrait permettre de savoir s’il s’agit cette fois encore d’un prétravail aux contractions douloureuses.

Déjà minuit ?

Flo vient se coucher. Au bout de 5 minutes, il demande mon accord pour dormir dans le salon – il est trop mignon mon chéri, il sait qu’on ne contrarie pas une nana en train de travailler eh eh ! ou de « s’extasier » comme dirait mon amie Sylvie – : mon expiration sur la contraction qui se présente à et en moi est apparemment très bruyante. Pour Louis, j’accompagnais chaque contraction d’un seul et même expire, lent et fin, discret surtout, comme si je soufflais dans une paille et que je me trouvais dans un salon de thé luxueux. Là, je sens que la discrétion m’est impossible, et surtout que je n’en ai pas envie : j’ai besoin de mettre de la puissance dans la soufflerie pour gérer la douleur et j’ai envie d’être libérée de ma peur de déranger. Quand on accouche, on a tous les droits m’ont répété toute la grossesse Flo, Nathalie, Evelyne, Aurélie, Julie, Amélie, Sandra, enfin… tout le monde quoi !

Je suis super excitée : apparemment l’antispasmodique ne fait pas d’effet. Je suis peut-être en travail, youhouuuuu ! Il s’agirait donc des prémices de l’accouchement ? C’est génial ! On va revivre ce moment hors du temps, cet état de transe, de transition pour rencontrer notre deuxième enfant !! Pour se préparer à être parents de deux personnes qui nous auront choisis pour ce rôle et qui vont nous y épanouir, de deux enfants qui seront pour nous des individus si spéciaux, si uniques, si…

Pas le temps de poursuivre ma pensée ! Trois contractions suivent, encore plus fortes que celles survenues l’heure précédente. Le souffle seul ne me suffit plus pour accueillir la douleur qui s’empare de mon corps.

En bambara, on ne dit pas qu’on attrape une maladie, mais qu’une maladie nous attrape. J’ai le sentiment que la douleur m’attrape, me saisit, me paralyse. Quand la contraction s’installe, mon premier réflexe est de me tendre, de me tétaniser.

Au sommet de la douleur, je tente une vocalise. Elle prend le relai du souffle avec brio : je sens instantanément mon corps se relâcher, et la douleur s’y étaler et s’évanouir.

Entre les contractions, mon sommeil reste profond et réparateur, mes rêves sont toujours intenses : j’adore. Ça faisait plusieurs nuits que je ne me souvenais pas avoir rêvé. Là, je suis dans une nuit d’excellence : j’ai des contractions, douloureuses certes, mais qui me rapprochent de Maxibou et mon esprit s’évade dans un monde merveilleux. Je suis super heureuse. C’est le genre de moments qui devraient durer l’éternité. J’aime cette douleur, elle m’annonce que Maxibou et nous sommes prêts ; en tout cas, elle nous prévient de nous y préparer et elle nous y prépare durant et par cette initiation.

Chaque contraction correspond à deux vagues à accompagner. Lors du précédent enfantement, la vague était unique. Elle montait lentement, atteignait un seuil de paroxysme, redescendait tranquillement. Cette fois-ci, elle monte, stagne, redescend mais pas jusqu’en bas, elle remonte plus haut encore, stagne, redescend. Ce ne sont peut-être pas des contractions ? Le souvenir de mes lectures ne laisse aucune place à la possibilité d’une contraction à deux pics. Alors, peut-être que je ne suis pas en travail ? Je me lève à nouveau et vais reprendre deux antispasmodiques. Je veux savoir. S’il s’agit d’un prétravail, je vais devoir être très prudente quant à ma gestion de la fatigue.

Ces vagues me saisissent tellement fort que mon corps tremble après chacune. Est-ce que j’ai peur ? Est-ce que cela résulte d’un vide de force soudain ? d’un relâchement immédiat ? Ai-je froid ? Je n’en sais rien, je ne contrôle rien, je ne sais rien.

Je me force à rester détendue, à laisser la douleur me traverser, à laisser les tremblements secouer mon corps : je suis juste un chemin, un passage m’a dit Nathalie une fois. Cette image m’avait vraiment plu. Je me le répète. Je pense aussi au mantra que Marie m’a donné, mais je ne me souviens plus du contenu, alors je me prolonge dans le matelas, le sol, les murs de la chambre. La douleur se répartit davantage, je la subis beaucoup moins. Je pense à Maxibou, s’il s’agit bien d’un travail, je veux qu’il se sente épaulé dans sa préparation à la descente dans le bassin.

Je veux, je dois éviter de faire comme pour le premier accouchement où je m’assurais que la douleur reste gérable : je la contrôlais en permanence pour éviter à Mini m – le petit nom de Louis à l’époque – de souffrir, pour ne pas être dépassée, pour ne pas risquer de demander la péridurale. J’avais aussi peur de déranger l’équipe médicale et de déranger Anne, notre sage-femme. Je craignais de faire du bruit et d’être mal vue, de paraître faible, d’inquiéter Florian surtout. Ça avait duré… duré. Jusqu’à la césarienne où, même là, je n’avais pas osé demander un report de quelques minutes, ni même un peu de temps pour l’accepter, quoiqu’elle fût l’évidence même dans un système médicalisé. Je ne voulais pas importuner le personnel médical ou remettre en question qui que ce soit, ou forcer Anne à me donner des explications, et encore moins qu’elle et Flo aient encore à patienter des heures que j’arrive à accompagner Mini m jusqu’à l’air libre. Je savais aussi que la césarienne devenait inévitable, mais j’aurais voulu qu’on me laisse encore tenter quelque chose par moi-même. Qu’on fasse confiance encore un peu plus longtemps à Mini m et à mon corps, qu’on me laisse évoquer toutes mes peurs, qu’on tente encore quelque chose de moins médicalisé.

Cette fois-ci, je suis différente, j’ai progressé, évolué, changé. Je m’autorise à vivre pour moi et pour Maxibou uniquement. On doit être portés par le monde et lui faire confiance, on peut être nous-mêmes. Je sais que Florian et Nathalie sont bienveillants, je sais que l’équipe de Givors nous laissera tranquilles et nous laissera le temps d’accepter une médicalisation s’il y a besoin, et si l’urgence se présentait, Nathalie trouverait les mots justes. Je suis aussi rassurée qu’elle puisse rester avec nous si médicalisation il y a. Je me sens dans une enveloppe protégée, un peu comme celle dans laquelle Maxibou se trouve. Il s’agit de notre bien-être à nous deux. Cette fois-ci, j’en suis convaincue et surtout, je l’accepte.

Je pense beaucoup à notre enfant qui subit aussi les mouvements contractiles de l’utérus. Je veux vraiment être avec lui, je tiens à ce qu’il se sente sécurisé et accompagné dans sa naissance. Maxibou, ces mouvements sont forts et t’étreignent, mais c’est pour mieux t’aider à venir à nous, à te différencier de moi, à ce que nous échangions nos regards. Nous allons partager la vie autrement, avec ton papa et ton frère, et tous les gens qui t’aimeront et que tu aimeras, et les autres aussi… ce sera super ! Rassure-toi aussi, quand le trajet se fera fatiguant, tu te reposeras, tu seras assoupi, et malgré cela, ton corps prendra les positions nécessaires à ta venue. Tu participeras en sommeillant. Et moi, je serai toujours là pour toi.

1 heure du matin – jeudi 28 novembre

Déjà ?? Oh la laaaa, je n’ai aucune notion du temps ! J’ai eu l’impression que ces quatre dernières contractions avaient eu lieu en quelques minutes, et pourtant, j’ai poursuivi mes rêves entre chacune.

J’aime particulièrement ce phénomène dans l’accouchement. La perte de la notion du temps. Je suis hors du temps humain. Je suis dans un univers parallèle, avec l’enfant en naissance. Nous deux, dans cette enveloppe temporelle unique, qui n’appartient qu’à nous, et qui nous échappe en même temps.

Wowowowowww, déjà une nouvelle contraction ? Mais je viens d’en avoir une y’a pas longtemps !? Mon ‘pas longtemps’ à moi en tout cas ! Ce n’est pas possible ! Faut que je retourne aux toilettes : mon intestin est encore broyé momentanément.

C’est passé. Je profite de m’être levée pour faire deux ou trois mouvements de pédalage sur la galette qui est dans le salon : ça détendra l’utérus et ça me donnera l’impression d’être active et d’aider Maxibou à trouver la bonne position pour entamer sa descente. Le pédalage, c’est vraiment cool, ça fait du bien. Pour Louis, ça m’avait fait ça aussi, mais je n’avais pas osé utiliser celle du cabinet de Anne alors que j’en éprouvais nettement le besoin. Je savais que mon corps me le demandais, mais j’avais cette peur de déranger. J’avais utilisé ma galette à la maison avant de partir au cabinet de Anne, et je regardais la sienne, pleine d’envie, sans oser m’en servir. Le cabinet était rangé. J’avais vraiment été stupide d’être si gênée quand même ! Et surtout de ne pas oser demander !

J’ai super sommeil : je retourne au lit et me rendors immédiatement.

Encore une ? À force de vocaliser comme ça, avec le volume sonore et la fréquence qui augmentent, je risque de réveiller Louis qui dort dans notre unique chambre. J’ai de plus en plus froid. Il me faut aller ailleurs, il me faut du chaud : un bain, ce serait parfait. Et puis, ça permettrait de voir si les contractions se calment ou pas. Bon, je sais déjà que l’antispasmodique n’a pas d’effet, et ça, c’est vraiment vraiment cool parce que je kiffe accoucher et je kiffe savoir que Maxibou semble prêt à quitter son cocon, mais quand même, je veux vérifier que ce n’est pas un prétravail.

Si c’est un prétravail, je dois l’enrayer. Peut-être que j’essaierai aussi le CD d’hypnose de Nathalie : j’ai super envie de tester son efficacité pendant le travail, surtout que je n’ai toujours pas découvert les exercices sur l’ouverture du col ! Je me sens d’humeur incuriosita comme disent les italiens !

Flo, désolée de te réveiller, mais tu me fais couler un bain ? Ultra chaud !! Pas de lumière hein ! Quelques bougies. Pas de lumièèèèère j’ai diiiiit !

Il a éteint le plafonnier de la salle de bain, ouf. Cette lumière me tendait. J’entends l’eau couler : ça m’apaise. Mais ça ne suffit pas : la contraction qui vient, argh, elle est violente !! La laisser me traverser, l’accueillir, et comme j’ai lu dans un ouvrage de Maïtie Trélaün, je gagnerai à me jeter à l’eau pour atteindre l’océan plus vite, à ne pas rester accrochée à la berge par peur de la noyade. J’adore cette image. Vu qu’en plus, j’ai réappris à nager en vue de notre désir de parentalité, je sais que mes enfants ont un rôle quant à ma réconciliation avec l’eau. Je sais donc que je peux me jeter à l’eau sans peur pour et grâce à eux.

Quand les vagues redescendent, je me sens tellement bien de réussir à accueillir la douleur, je suis heureuse pour moi, j’y arrive ! Non seulement j’arrive à vocaliser, mais je parviens de plus à ne pas m’intéresser à l’esthétique, à la qualité sonore. Je suis capable aussi de faire résonner mon corps pour l’aider à être un tube de passage, je ne suis qu’instrument, un genre de flûte traversée par l’air et par une force profonde ! Quelle joie, quelle fierté !

Accepter la douleur ne signifie pas être envahie, ni dépassée par elle en fait : j’en prends conscience. C’est de ça dont j’avais peur lors du premier accouchement. Je vois que c’était un fantasme : accepter permet au contraire de mieux vivre le moment. Je me sens même meilleure maman : j’ai vraiment l’impression d’accompagner Maxibou exactement comme il le faut.

Je suis heureuse : je peux être au milieu de la mer sans me noyer, je n’ai même pas besoin de nager, j’ai juste à me laisser porter par les vagues et le courant, et je suis d’autant plus en sécurité. C’est formidable et magique. La douleur est bienveillante ! On fait équipe Maxibou, les contractions, la douleur et moi. Je découvre vraiment quelque chose. Peut-être bien que ça m’aidera aussi dans la vie quotidienne lorsque j’aurai des douleurs inflammataires aigues comme cela m’arrive encore parfois : je dois garder en moi ce souvenir et cet incroyable lien qui existe entre acceptation de la douleur et bienveillance avec soi-même. J’ancre.

Zut, pas le temps d’arriver à la baignoire ! Deux contractions ! Y’a quoi… 6 mètres entre le lit et la baignoire ?! C’est fou, ça ! Je n’ai même pas réussi à les faire d’une traite !

Pour la première contraction, je me suspends à l’écharpe de portage posée sur la barre de traction dans le couloir, et qu’on laisse là depuis plusieurs jours en prévision du travail justement ; pour la seconde, j’enfonce le mur de la salle de bain de mes deux mains, bras tendus, en étirant le dos, comme si je voulais déplacer le mur. C’est Anne qui m’avait proposé cette position durant le premier accouchement, sauf que j’avais refusé les mouvements cette fois-là et j’étais restée assise en tailleur quasiment 8 heures.

À chaque fois qu’elle m’invitait à prendre une position autre que l’assise, la douleur m’envahissait et je paniquais complètement, même si je ne le disais pas. Je n’avais pas lu le bouquin de Trélaün… et je ne découvre qu’aujourd’hui que je n’avais pas compris ce que signifiait « accepter et accueillir la douleur ».

Vite, le bain !! Avant qu’une troisième contraction ne s’empare de moi ! L’eau est brûlante : quel bonheur, comme ça détend ! Contraction !

Cette baignoire a la taille idéale : je peux être au repos sur le haut du dos, et appuyer mes pieds fort fort fort sur le pan opposé pour envoyer la douleur loin loin loin. Nathalie m’avait dit que c’était efficace d’envoyer la douleur dans les pieds, et d’imaginer qu’elle s’échappait par là. Ça marche super bien sa technique !

C’est cool, je suis bien ici, dans cette baignoire. Je vais quand même essayer de ne pas y passer 5 heures comme pour l’enfantement de Louis. En plus, j’ai lu que rester plus de 2 heures dans le bain peut, contrairement à un bain court, ralentir l’ouverture du col. J’ai qu’à y rester une petite demi-heure. 45mn max avec des pauses de 5 minutes disait une étude scientifique que j’avais lu. Quand l’eau tiédira, ce sera le moment de passer à autre chose.

Ah ben dis donc, ça aide vraiment bien la baignoire et ma position où je peux imaginer que je repousse les bords à la fois du haut du dos et des pieds : c’est vrai, cette contraction-là était vraiment forte, mais prolonger mon corps dans et avec la baignoire m’aide vraiment !

Encore une ?

Flo, tu veux bien contrôler la fréquence des contractions ? Juste au cas où ce ne serait pas un pré-travail ? Parce que, quand même, ça fait pas longtemps que je suis dans le bain et les contractions ralentissent pas, et même s’accélèrent je crois.

Toutes les trois minutes ? Sérieux ?

Je pensais que c’étaient toutes les dix minutes ! Elle est vraiment géniale cette baignoire ou alors, je n’ai vraiment aucune notion du temps ! ou les deux ? Ou alors, juste, je gère bien ?

Appeler Nathalie tu dis ? Elle a dit d’appeler si je sentais que ça devenait sérieux ou que je gérais moins, ou qu’on avait besoin d’elle.

En plus tu as raison, pour Louis, les contractions étaient toutes les 5 minutes puis 4 minutes, sur une durée de 4 heures, et j’étais dilatée à moins de 1 quand Anne m’avait auscultée ! On ne va pas réveiller Nathalie à cette heure de la nuit et lui faire le même coup !

Contraction. Ma vocalise change de voyelle quand la contraction est à son comble : ça pousse ! Devrais-je dire à Flo de prévenir Nathalie ? Bah, pour Louis, ça poussait, j’étais dilatée à 4, alors… on ne va pas réveiller Nathalie si je suis à 4 ! On attend encore, non ? Encore une ! Attends, mais c’était y’a pas longtemps celle d’avant, non ?

1h15

Bon, Flo, envoie-lui un sms, juste pour lui dire que j’ai des contractions toutes les 3 minutes. Et mets les trucs qui sont devant le sac à dos pour l’accouchement dedans, que ce soit tout prêt quand on décollera pour l’hôpital. Peut-être que tu devras mettre dans un plus gros sac en fait… Et aussi, commence à chercher une solution de garde pour Louis.

Elle est trop chaude cette eau. C’est désagréable. Je débouche la baignoire. Ah la laaaa, elle est lonnngue à se vider ! C’est pas plus rapide une baignoire à se vider d’habitude ?

Je veux de l’eau froide, peut-être même glaciale. Contraction ! Contraction ! Voilà que ça pousse à la fin de chacune maintenant. Ma vocalise se termine par un râle de poussée à chaque fois, et je suis vraiment fière d’être capable de faire autant de bruit et des sons de type animal, primitif.

Je ne veux pas embêter les voisins exprès, mais je sais qu’ils comprendront la situation si je les réveille. Ils ne m’en voudront pas, c’est sûr. J’irai m’excuser par principe dans quelques jours quand on reviendra de la maternité. Ah quand même, j’ai encore mes réflexes de pas déranger, c’est marrant quand même ce conditionnement à faire attention à l’autre, même dans un moment où je devrais m’occuper que de mon enfant à naître et de moi-même !

Je kiffe trop d’être seule dans la salle de bain d’ailleurs, je peux me laisser aller complètement : y’a pas de regard extérieur, je m’inquiète de la réaction de personne. Je sais qu’on m’entend, mais c’est différent de me voir. Dans la chambre aussi, c’était cool que Flo soit arrivé que vers minuit, je crois que ça a facilité mon lâcher prise, ben oui, Louis dormant comme un loir, au départ je n’ai pas eu peur de le réveiller ou de le faire flipper. Je pouvais être autocentrée et faire comme bon me semblait sans me poser de question ou me sentir jugée, évaluée, gênante…

Ah mais là, ça change de tournure, ça fait maaal dans les reins et un peu le sacrum !

Flo ! Reviens ! Masse-moi les reins ! Plus fort ! Plus bas ! Plus haut ! C’est trop bien ! Ça soulage, un truc de fou ! Merci !

Ils sont super beaux mes sons : des sons graves plein de résonances, de plus en plus graves et de plus en plus riches en harmoniques. Ils sortent du plus profond de moi, je n’ai rien à penser, rien à gérer. Je ne pense pas à prendre de l’air ou à respirer comme ci ou comme ça. C’est naturel, c’est l’évidence. Je suis super contente de moi, ça faisait longtemps que je ne chantais pas de manière aussi libre ! J’espère retrouver ça après l’enfantement. Merci Maxibou de m’offrir ce retour au chant, à la plénitude des sons. Louis m’avait réconciliée avec ma voix chantée pendant sa naissance, et toi tu me réconcilies avec le plaisir de chanter pour soi, pour nous.

Quel bonheur : je vais reprendre le chant, tiens ! Les naissances de mes enfants guérissent la blessure de la mort de mon grand-père survenue alors que je lui chantais un chant pour l’aider à mourir… mes enfants me ramènent aux joies inconditionnelles des vibrations et de la mélodie.

Je me mets accroupie, façon ‘grenouille’. Aaaah, c’est vraiment mieux. Sans eau, à plat dos ou en tailleur, et même à genoux, j’accueillais mal la douleur.

Tu descends nous rencontrer Maxibou ? Oh la la, ça pousse vraiment. Ah tiens !? J’ai déféqué quand ça poussait : je ne m’en aperçois que maintenant. C’est cool, ça. Je m’autorise !! Surtout, je n’y prête pas attention ! Je suis vraiment plus zen que lors de l’enfantement de Louis, je suis vraiment contente de moi. Nathalie et Flo m’ont bien dit que ça ne les dérangeait pas. Bon, si, ça m’ennuie un peu pour eux quand même, mais s’ils viennent dans la salle de bain, ils ne me diront rien, sauf que c’est bien parce que je me laisse aller, je laisse mon corps libre, je ne bloque pas l’accouchement, je laisse les choses se faire. Je lâche tout : Maxibou aussi. Je le sais et je le sens. Je suis détendue et hyper heureuse.

Bon, allez, je fais couler l’eau froide !

1h20

J’ai fini le sac ma chérie. J’appelle mes parents pour qu’ils viennent prendre Louis ?

Tes parents !? Mais non, ils sont trop loin ! 1 heure de route sans compter le temps du réveil !

Dans 1 heure au plus, on est sur la route de Givors. C’est certain. Je me vois déjà dans la voiture, mais je n’arrive pas à savoir si je me trouve sur le siège du passager avant ou bien si je suis allongée sur la banquette arrière. Dans tous les cas, je me projette dans une situation carrément inconfortable, à ne pas savoir dans quelle(s) position(s) me mettre pour accompagner la douleur dans son travail ! Avec un coussin sous les fesses, ça c’est sûr, j’en aurai besoin ! Entre temps, Nathalie sera venue voir mon col et, vu comment je sens les choses, là, maintenant, quand elle sera là, je le vois bien dilaté à 5 ou 6, même 7 ce serait vraiment trop cool. On pourrait décoller direct !

J’appelle Aurélie ?

Aurélie, mais non, elle éteint son tel la nuit, et on n’a même pas demandé ! Appelle Charles et Rachel.

Bah non, ils bossent demain.

Ah ouais ! Alors sa nounou, il connait la maison et y a son lit ! Attends, j’ai une contraction…

Depuis plusieurs nuits, Laetitia garde son tel en vibreur exprès en plus.

Contraction. Ça pouuuusse. Plus que les fois précédentes.

Vite ! Fais-moi vite un gant ou je ne sais pas quoi avec de l’eau chaude ! Ça me brûle au périnée et à l’anus ! J’ai besoin de chaud là. Vite j’ai demandé !!

Pas d’eau chaude ? Ah bon ? C’est bizarre, on a fait qu’une baignoire. Pleine à ras bord certes, mais quand même !

Bon, ce n’est pas grave, je vais me débrouiller. Ah, y’a pas d’eau chaude non plus ici, au robinet de la baignoire. Contractions. Ça commence à devenir dur cette position accroupie sans eau chaude en fait. Ou faudrait que je puisse suspendre le haut de mon corps pour soulager les jambes. Ou c’est juste que c’est plus fort maintenant les contractions ? Ou j’ai besoin de toi ? De Nathalie aussi ? Pis l’eau froide, ce n’est pas cool en fait.

J’ai envie que Nathalie sache où j’en suis, que Flo lui dise, peut-être même qu’elle vienne, qu’elle soit là. Ca y’est. Je le sais, je le sens. Nathalie avait dit qu’on sait quand on a besoin d’appeler la sagefemme. Ben oui. Encore une fois, elle avait raison.

1h30

T’as appelé Nathalie ? Non ?! Mais appelle !!

Ben attends, je gère Louis là !

Ok, ben moi, va falloir que je me gère seule, alors que là, je commence à avoir besoin d’une présence. Ça pousse vraiment fort au moment des contractions, et je voudrais bien savoir comment mieux accompagner cette sensation et Maxibou.

Je me flingue la gorge, là, avec mon râle préhistorique. Je sens que j’irrite mes plis vocaux. Mais, je ne trouve pas de solution. Tant pis, je laisse faire.

1h40

Nathalie demande si les contractions font mal.

Oui, mais je gère, dis-lui.

Elle est nulle ta question : ça se voit quand même que ça fait mal.

Quand je crie un peu, là, tu t’inquiètes pas, d’accord ? je souffre pas, J’accompagne la douleur en fait, mon râle la soulage vachement.

Ah bon ? Je ne semble pas avoir mal ? Mon visage est détendu !? Même quand je vocalise et quand je râle quand ça pousse ? Trop fort, truc de fou comme on vit cet accouchement différemment !

Pour de vrai, ça ne se voit pas !? C’est pour ça que tu me demandes si ça fait mal ?

C’est vrai que je suis super bien, super en sécurité. Super zen. Tout est normal en fait. Le corps travail, ma tête lâche, j’accompagne, je fais corps « esprit et body ». C’est vraiment plus efficace les vocalises que le souffle seul pour accueillir les contractions douloureuses alors !! En plus, ça doit masser Maxibou les vibrations que je crée et ressens, et le son grave et plein doit le sécuriser.

J’adore savoir que j’accompagne Maxibou correctement. J’adore savoir qu’il descend, qu’il s’est engagé dans cet acheminement mais qu’il me sent avec lui, qu’il a mon assistance.

Nathalie demande si elle vient.

Bah je ne sais pas, c’est fort les contractions mais je me repose bien entre chacune. Ça va en fait. Enfin, je ne sais pas… C’est fort quand même. Par contre, mes jambes fatiguent. Y’a toujours pas d’eau chaude, c’est relou.

À la fois, j’aime bien l’eau froide au niveau des pieds et des chevilles. Faudrait une baignoire à plusieurs couches : qu’on puisse mettre de l’eau froide sur les pieds et de l’eau bouillante au niveau périnéal et anal, et puis de l’eau tiède au niveau du nombril et de la poitrine. Ce serait cool. Il manque vraiment des inventions quand même.

Oh, t’assures trop mon chéri, de m’amener un gant sur lequel tu as versé de l’eau chaude que tu as fait bouillir. T’es vraiment génial, j’ai trop de chance !

En fait, je ne sais pas si Nathalie doit venir ou pas : je sais rien. Je sais pas si je suis à 1, à 4 ou à 6, ou à 8, ou plus. Je ne maîtrise rien. J’ai essayé de toucher mon col mais j’ai absolument rien senti qui ressemble à un col !

Je sais juste que je me sens vraiment bien, que je suis heureuse, que je suis fière, que je suis impatiente, que je suis dans le présent, que je projette un bonheur futur aussi, que… que mon esprit vague à des pensées futures et sans lien avec l’accouchement parfois, et qu’à la fois, il est ici et maintenant.

Ça pousse de plus en plus fort à la fin des contractions. Je défèque encore par intermittence à chaque poussée. Tiens ? je remarque qu’il y a un peu de sang dans la baignoire. Ah, y’en a qui sort encore du vagin, enfin je crois. Ça fait des fils sanguins dans la baignoire. Boh… ça doit être normal puisque Maxibou descend, probablement le col qui saigne en se modifiant. Ouais, bon, de toute façon, je n’ai pas de douleur spécifique et, du sang, y’en a pas beaucoup du tout.

Ma chérie, je dis à Nathalie de venir ? Ça a l’air plus douloureux tes contractions, non ?

Je ne sais pas, c’est juste que ça pousse à la fin des contractions quelle que soit ma position.

Tiens, Louis se réveille et m’appelle ! C’est fou qu’il n’ait pas été réveillé avant ! Apparemment, ça ne le fait pas flipper non plus mes vocalises et mes râles. Tel père tel fils. C’est vrai que mes sons sont vraiment forts mais tellement plein, ronds, beaux en fait que ça doit ressembler à du chant plutôt qu’à du cri et puis, sur ce qui ressemble à une sensation de poussée, c’est vraiment un râle.

Je sors de la baignoire pour l’aider à se rendormir ? Je m’imagine déjà enjambant la baignoire, m’enrouler dans une serviette de bain, et filer dans la chambre pour le blottir contre moi, le rassurer et le rendormir. Non, ce n’est pas sérieux. Je laisse Flo gérer, je m’occupe de Maxibou moi ! Et puis, si j’ai une contraction alors que Louis est près de moi, je n’oserais peut-être pas chanter, encore moins râler. Un parent par enfant, ça me semble équitable et bien en fait.

J’ai de moins en moins de force dans les jambes, la position accroupie me fatigue vraiment, de plus en plus.

Flo semble avoir Louis dans ses bras : ils semblent être dans le couloir maintenant. Louis veut me voir. Je lui dis de venir ? Non, allez, je continue à m’occuper de Maxibou. Flo gère, c’est sûr. La preuve, Louis ne m’appelle déjà plus. J’espère que ça ne l’inquiète pas ces sons. Il est vraiment temps qu’il parte, parce que je ne sais pas si je ne vais pas augmenter encore l’intensité sonore ! Et que Nathalie vienne pour vérifier le col et me dire si j’accompagne bien Maxibou.

1h45 (je crois)

J’ai de plus en plus de mal à tenir accroupie, vraiment ; et les autres positions me sont insupportables dans la baignoire, surtout qu’il y a juste ce fond d’eau froide, jusqu’à mes chevilles, et que j’ai envie d’eau chaude, or y’en n’a toujours pas.

Flo !! Tu m’aides à sortir de la baignoire ? Je veux m’allonger, j’ai les jambes en coton. Ah y’a plus Louis ? Il est parti en fait ? J’ai rien capté dis-donc ! Laetitia est déjà venue ?

C’est fou ! J’ai l’impression qu’à peine 10mn se sont écoulées depuis que Flo a cherché qui appeler. Contraction. Rhaaa, ça pousse, un truc de fou ! C’est vraiment ouf cette sensation : j’aime biennnn ! Le corps fait tout seul, je ne peux pas contrôler. Ça pousse en-dedans moi, assez haut en fait, et au centre de mon ventre. C’est indicible en fait, mais j’adore.

Ma chérie, Nathalie propose que l’on se retrouve directement à l’hôpital de Givors. Ça te dit ? Tu te sens de t’habiller ? Sinon, je te mets juste un drap sur le corps et on part comme ça ?

Je sais pas. Déjà, aide-moi à sortir de la baignoire parce que seule, je peux pas.

C’est quoi ces trucs dans l’eau ? T’as rompu la poche des eaux ?

J’sais pas, j’crois, peut-être. Je sais pas. Amène-moi dans la chambre, vite, steplé. Je veux vraiment vraiment m’allonger.

Je t’amène plutôt dans le salon, sur le matelas qui nous sert de canapé. Le lit est trop mou, tu pourras pas prendre appui pendant les contractions.

On va où tu veux, mais on y va ! On est déjà dans le salon ? Comment on a fait ça ? Je n’ai aucun souvenir de la sortie de la baignoire, du séchage, de la marche ! Faut que je m’allonge. Ah non, oh la laaaaaa, allongée, ça ne va pas du tout du tout en fait. Vite, aide-moi à me relever ? Argh, cette contraction allongée, là, ce n’était vraiment pas cool. Le ballon ? Ah oui oui, vas-y, file-moi le ballon. Attends, ça contracte, reviens m’aider ! Porte-moi un peu, je veux me soutenir à ton cou, mes jambes ne me portent toujours pas et je ne sais pas comment faire autrement !

Faut qu’on s’active pour Givors, t’as raison : habillons-moi. Parce que là, ça monte en puissance. Mais si on part, je veux mettre un t-shirt et une culotte. Même si, là, j’ai super chaud, je ne veux pas être juste dans une serviette de bain ou un drap dans la voiture : je ne veux pas finir dénudée sur la route ou à l’hosto. Je sais que je vais devoir descendre deux étages et surtout, que je ne vais pas pouvoir rester en place dans la voiture : faut des habits qui tiennent à mon corps. Je ne prends pas le risque de finir la descente des escaliers à moitié à poil ! Je te rappelle que je suis plus pudique qu’il y a quelques semaines !

C’est vrai, tu trouves que je gère toujours bien ? Toi, t’es vraiment amoureux hein ! Mon visage est toujours détendu ? Truc de fou !

1h55 (peut-être)

Contractions répétées de plus en plus souvent je crois. À chaque contraction, je me penche en avant sur le ballon. Dans la phase la plus aigüe, je me pends au cou de Flo. On n’a toujours pas réussi à me mettre le t-shirt, ni la culotte. Je crève de chaud.

Nathalie demande si ça pousse aussi entre les contractions.

Je ne sais pas, non je ne crois pas.

Je vais faire chauffer la voiture et la charger.

Tu restes là.

Euh… je vais demander à Christophe, le voisin, de gérer.

Fais vite. Wahouuuu, seule, c’est moins sympa de gérer les contractions. Heureusement qu’il y a le ballon. Quand Flo n’est pas là, quand arrive le pic de la contraction, j’appuie mes mains sur le ballon comme pour l’aplatir et je redresse mon buste pour gagner en force, ça marche vraiment pas mal. La douleur traverse mon corps puis le ballon, puis se diffuse dans le sol. Je suis juste une voie de passage pour elle, je suis son chemin, sur son chemin. Elle me rappelle où accompagner maxibou dans mon corps, et surtout que nous allons rencontrer notre enfant, que nous serons bientôt avec une nouvelle personne dans notre foyer. Elle malaxe mon corps pour qu’il se fasse souple et puisse s’adapter rapidement à la nouvelle situation. Elle nous aide à traverser un passage de vie.

Tiens, appuie-toi contre moi, on met ta culotte.

T’es déjà là !? super cool ! Attends, c’est vachement dur de me relever. Ah, j’assure, j’ai réussi. Je peux même lever une jambe pour que tu m’enfiles la culotte. Je suis contente, j’arrive à être encore dans la détente totale entre les contractions. C’est vraiment cool. Attends, j’ai une contraction, tu mettras la deuxième jambe après ! Quatre pattes, vite ! Le ballon, le ballon, vite vite ! Ton cou, vite ! Ah cool, merci. T’es efficace. C’est bon, on peut reprendre la culotte, je suis prête.

Euh, ma chérie, c’est quoi ça ? Une membrane ?

Je ne sais pas, fais-voir. Je sais pas. Attends, j’ai une contraction. Vite, ton cou ! vite ! mets-toi plus bas, plus haut, entre les deux ! Tes mains maintenant !

Je dois rappeler Nathalie.

Tu fais ce que tu veux mais je ne descends pas de l’immeuble sans culotte.

2h (probablement)

Deuxième jambe : yes ! Par contre, je sais pas quand on a mis le t-shirt, mais les deux ensemble, franchement, j’ai vraiment super chaud. Faut qu’on se dépêche de sortir de l’appart’ parce que je ne me sens pas bien habillée aussi chaudement. Je n’aurais jamais cru penser ça : qu’un-t-shirt et une culotte me suffisent dans notre appart peu chauffé en plein mois de novembre !

Ça pousse fort, mais j’ai une culotte et un t-shirt, on va pouvoir descendre. C’est cool ! La maternité de Givors dans pas longtemps ! Maxibouuuu dans pas longtemps !!!

Mais attends, comment je vais descendre les deux étages ? Oh la la, je ne sais pas. La voiture, je veux bien supporter, mais les étages, ça va prendre du temps ! Je peux m’imaginer sans trop de souci dans la voiture – même si je ne peux toujours pas choisir entre les images mentales qui me viennent où je suis sur le siège passager et celles où je suis sur la banquette arrière – mais franchement, je ne peux vraiment pas me projeter dans l’escalier, à part en train d’y faire naître notre enfant ! pas top ! Ça ne me convient pas du tout comme images !! En plus, il doit peler dans les escaliers !

Nathalie est déjà partie pour Givors ?

Je me prépare psychologiquement à la descente des escaliers et je me force à m’imaginer en train de les descendre calmement, sereinement, lentement, en m’arrêtant à chaque vague, et surtout, à avoir le temps de monter dans la voiture. Mais là, l’image mentale qui vient, c’est moi en train de donner naissance à maxibou sur le bord de route, dans la nuit noire et glaciale, en direction de Vienne, sur la départementale. Et ça, ça ne me va pas du tout non plus. Mais faut faire confiance à la vie. Allez, ces pensées, je les laisse passer et je me recentre.

Attends, ça contracte encore. Oh la la, atteindre la porte d’entrée, je ne sais pas combien de temps je vais mettre. Oui oui je suis prête, il me faut un peu de temps encore, attends, faut que je me prépare à marcher. Contractions.

2h15 (apparemment)

Tiens, y’aurait pas une main en plus sur moi ? Ah, des caresses tendres qui vont de mon épaule à ma main sur mon bras droit. Ça fait tellement de bien ce geste bienveillant. Mais ça ne peut pas être mon Flo : il me semble que, de ses deux mains, il m’enlace la main gauche. C’est dans ses mains que je me prolonge pour diffuser la douleur et rester présente à maxibou. Cette sensation de main féminine, de toucher affectueux, me rappelle la main de Anne il y a deux ans, quand elle me l’avait tendue alors qu’une contraction m’avait saisie en plein milieu de la traversée de la route, devant la clinique où nous allions enfanter. J’ouvre les yeux après la vague qui vient de me traverser. Nathalie !! T’es là !?

C’est fou ce que peuvent faire des femmes, des sagesfemmes, mes sagesfemmes ! Elles paraissent si expérimentées leurs mains : elles savent emporter une partie de ma douleur ! Elles sont formidables, sachant exactement et intuitivement quel sera le geste parfait, adapté.

Depuis quand t’es là ? T’es arrivée quand ? T’es pas sur la route pour Givors ? On allait partir ! On ne va pas à Givors ? Ah oui, tu veux contrôler le col pour voir si on prend la route ou pas. J’espère que je suis bien dilatée, parce que j’applique tous les apprentissages que j’ai faits pendant cette grossesse. Je me laisse aller, je ne cherche pas à contrôler, je dis tout ce qui me passe par la tête, je ne prends pas de pincettes pour m’adresser à Flo. Surtout, j’accueille la douleur, je la laisse m’envahir, je me prolonge dans les choses et en Flo, et même, t’as vu, je vocalise ! Et je ne m’inquiète pas pour Flo, ni pour les voisins ! Je me sens bien et heureuse, je suis à la fois impatiente et présente.

Contraction : je vocalise durant la montée des deux vagues puis râle – ou crie, je sais toujours pas – pendant la poussée, et vocalise ou souffle pendant la descente. Tiens, c’est nouveau, ça. Cette contraction et la poussée qui a suivi m’ont demandé tellement d’investissement, d’implication, que mon corps, juste après, provoque une série de très brefs inspirs et d’expirs, comme s’il voulait se recharger en un minimum de temps d’un maximum d’oxygène. C’est cool que Nathalie soit là à ce moment-là. C’est mon corps qui me guide, je ne décide pas. Je dois juste le faire. Nathalie, ta main sur mon dos, j’adore.

Flo et Nathalie, vos mains m’aident vraiment à me sentir en confiance et apaisée, à me prolonger. Je suis bien avec vous deux près de moi. Attends Nathalie, par contre, c’est dur de changer de position pour que tu m’auscultes. Enlever la culotte ? ah oui, c’est vrai, j’ai une culotte. Oh la laaaaa, ça va être dur encore… Bah, enlevez-la moi vous-mêmes, parce que moi, je vais déjà devoir gérer mon corps le temps de m’allonger pour permettre le toucher du col.

Nathalie commence. Contraction. Je me tends : la situation me rappelle un mauvais souvenir : l’obstétricienne qui, durant l’accouchement de Louis, était venue sonder le col afin de décider d’une éventuelle césarienne. Je l’avais maudite, elle avait effectué l’auscultation alors que je contractais, et elle avait forcé l’ouverture du col pour tenter de le faire lâcher et pour voir comment il réagissait. J’avais eu particulièrement mal et j’avais trouvé cela extrêmement invasif et irrespectueux. Presqu’en même temps que revient ce souvenir me remonte également en mémoire la bienveillance de Nathalie, et ses propos, lors de sa découverte du dossier médical autour de la naissance de Louis, lesquels m’ont permis de comprendre les éléments, les actes et les décisions du corps médical et donc de cette obstétricienne. J’avais alors pu faire la paix avec elle et accepter son geste.

Détente immédiate, je la laisse sonder la situation. Je suis à nouveau en toute confiance et dans ma transe. Je suis heureuse qu’elle soit là, elle va pouvoir dire si je suis bien dilatée ou pas. On va savoir si mon lâcher prise a facilité l’ouverture et la progression de notre deuxième enfant dans le bassin, si toutes mes confidences, toutes les discussions, toute la préparation à l’accouchement et à la parentalité ont servi Maxibou et moi-même.

Ton bébé est là Sandra. Il va naître à la maison. Tu es complètement dilatée. Il est juste là. Je descends à la voiture chercher du matériel.

Elle a dit ça en murmurant. Avec tellement de douceur. Cette délicatesse d’élocution aurait dû durer une vie entière. C’est passé trop vite, c’était juste idéal et féérique : à mi-voix mais pas à demi-mot.

J’ai entendu aussi le contenu de son discours. Il m’affecte tout autant : c’est… je me sens légère là ! Ça a été vachement facile dis-donc ! Ça fait pas si mal d’accoucher ! Dilatée complètement, ça veut dire dilatée à 10 ? Déjà ?! En si peu de temps ! Aussi facilement ? En ayant si peu mal ? En ne faisant presque rien à part accepter ? En étant juste passage ? C’est fou ! Vraiment. Si j’avais su, j’aurais vocalisé et me serais lâchée pareil pour Louis. C’est débile d’avoir peur de déranger.

On va où vous voulez, je suis juste trop contente, c’était facile. Euh, si je suis dilatée complètement, on ne va pas descendre les deux étages !? Si ? Ah ben non, Givors, je suis bête, ce n’est pas faisable si je suis dilatée complètement ! Ah mais attends, elle a dit « à la maison » ! À la maison ?! Sérieux ? Oh, mais c’est dingue ! C’est encore mieux ! C’est magique ! Y’a pas les deux étages à descendre alors ?? Ça, c’est vraiment cool parce que sincèrement, je ne sais pas comment j’aurais réussi et combien de temps on aurait mis ! À la maison !? C’est ouf. Une évidence en fait. Ouais, c’est normal, logique, facile. Evident.

2h22 (vraisemblablement)

Flo, j’ai éteint le moteur de ta voiture. Sandra, tu veux te mettre à 4 pattes ?

Wahou, c’est dur de changer de position encore une fois. Oh la laaaaaaa, c’est difficile de me déplacer de quelques centimètres pour faciliter la mise en place de la bâche que Nathalie a amenée et dépose sous moi. Aidée de Florian, elle installe du matériel. Je ne sais pas ce qu’ils font, Flo demande s’il doit faire chauffer de l’eau.

Ça me fait rigoler cette histoire d’absence d’eau chaude. J’ai une pensée pour les accouchements traditionnels et le feuilleton de la Petite maison dans la prairie. C’est marrant ces pensées, ça me détend. Si ça se trouve, il va falloir clamper le cordon avec une ficelle pour rôti : je me marre intérieurement avec ces pensées déclenchées par la question de Flo et qui se nourrissent d’émissions télévisées sur les accouchements inopinés.

Je suis super bien, dans cette ambiance feutrée avec deux personnes que j’admire et en qui je voue une confiance inconditionnelle. Flo et elle gèrent tellement bien.

Contractions. Flo, de l’eau. J’ai besoin de boire entre les contractions, car mon râle m’assèche la gorge un peu plus à chaque nouvelle contraction. Nathalie me masse les reins pendant les contractions, et je me projette à la fois dans ses mains et dans celles de Flo que j’enlace. J’étire la douleur, ça m’aide. J’aime beaucoup cette possibilité de m’agrandir à travers les mains de Flo devant moi et celles de Nathalie dans mon dos. J’adore vraiment vraiment cette sensation, auparavant inconnue, d’étirer la douleur comme si elle était une gomme à mâcher que l’on peut affiner à volonté sans la dénaturer ou l’esquinter, que l’on peut étirer sans risquer de la rompre ou de lui faire perdre son efficacité et son utilité.

Un répit.

Alors ça, c’est marrant ! C’est le répit dont me parlait Ju : « Y’a un répit avant l’expulsion, ça permet de se reposer et de reprendre des forces. Nous, avec François, on a même dormi avant la naissance de Joséphine ». Julie raconte tellement bien ces moments incroyablement uniques de la vie que j’avais vraiment envie de découvrir ça un jour. Ben voilà. C’est vrai que c’est de l’ordre du mystère et du fascinant. Mon corps contractait violemment y’a encore quelques minutes, et là, me voilà dans un moment de pause totale, où mon cerveau quitte sa transe et revient dans le monde du quotidien. Je peux parler et me projeter dans le futur à nouveau. Je peux quitter l’instant présent, je peux reconnecter avec mon cerveau supérieur, oublier le monde animal momentanément. Je peux me reposer : mon corps se ressource. Je saisis l’enjeu, je m’illumine :

On va rencontrer Maxibou mon chéri !

Je repose mes fesses sur mes jambes pliées, le buste légèrement appuyé sur le ballon. J’admire l’homme de ma vie, le papa de Maxibou, je le trouve merveilleux, beau, attentionné, aimant, bienveillant, juste mon homme parfait et idéal. Nos yeux pétillent : je vois les siens plein de paillettes, je sens les miens plein de rayons lumineux et de plumes colorées. On va rencontrer Maxibou !

2h30 (…?…)

Ça pousse. Oh ben dis donc, ça fait pas mal du tout ça ! Rien à voir avec les contractions. Les poussées sont courtes. Trop courtes ! Comment je fais pour avoir le temps d’expirer là-dessus moi ? Merci Nathalie de me guider ! Parce que là, je n’ai vraiment pas mal, et j’ai du mal à sentir la durée des poussées et comme y’a pas de douleur, je ne sais pas où pousser ! Je ne suis pas sure de bien pousser, mais ta voix m’encourage, et les mains de Flo m’aident bien : je sers ses mains dès que j’accompagne la poussée de mon expiration.

Je suis censée expirer comme si je vidais mes poumons ? Ou bien je simule le réflexe de poussée qu’on a quand on vomit ? Je me demande parce que j’ai lu ça dans un bouquin de Berny : c’est le petit nom que je donne à ma meilleure copine du moment, Bernadette de Gasquet.

Je ne comprends pas trop la sensation que j’ai parce que Julie m’a dit que le corps pousse tout seul quand on n’a pas d’anesthésie de synthèse. Je m’attendais vraiment à un truc où le corps expulse de soi-même, où on n’a rien à faire, qu’on ne peut pas refreiner, comme quand on vomit justement !

Là, franchement, je ne ressens pas ça du tout. En fait, moi, ça ne pousse pas, ça s’ouvre. C’est pour ça que je ne sens pas la poussée ? Ça s’ouvre encore et toujours… J’ai l’image du périnée en tête. Un genre d’ovale fait de nombreux élastiques qui s’étirent et se déforment au grès de ce qui descend à sa rencontre, et qui restent étirés mais en détente quand les éléments remontent. Pâte Fimo jaune : je pense au blessingway ; rideau de spectacle rouge : c’est le rideau de l’Opéra où je chantais petite avec le choeur d’enfants.

Aurélie et Armèle m’ont dit que ça criait tout seul aussi pendant l’expulsion, elles ne décidaient pas d’émettre le son qui sortait de leur bouche. Elles m’ont raconté que ça sortait de partout en même temps. Moi, au contraire, je sens que je suis dans une envie de silence, je suis complètement zen. Comme dans un moment de méditation silencieuse dans un temple au Cambodge, le son n’a pas sa place. J’ai envie de silence, j’ai besoin du souffle, juste de ce bruit du frottement de l’air sur mes lèvres. Dans la douceur et la tendresse.

Bon, je fais comme je peux. Nathalie me dira certainement si ma technique ne suffit pas. Ah mince, encore une poussée que je ne sens qu’à son apogée. Je laisse l’air entrer dans mes poumons afin de pouvoir accompagner délicatement la poussée avec le souffle. Mais, je m’y prends tard du coup, et je ne sens pas non plus la descente de la contraction.

Expirer plus longtemps tu dis Nathalie ? J’expire encore mais je manque d’air. Je n’en ai pas pris assez : mes poumons n’ont pas capté quelle quantité d’air serait nécessaire pour accompagner la poussée. Je ne capte que l’ouverture jaune Fimo, je ne ressens pas la montée de la contraction qui est à l’origine de la poussée.

Je dois, pour la première fois depuis le début de l’enfantement, me concentrer pour mieux accompagner notre Maxibou ; pour me recentrer à fond sur mon corps, à l’écoute de mes sensations les plus secrètes et intimes, pour les percevoir et sentir ainsi la montée des vagues expulsives.

J’ai toujours l’impression de mal pousser, de pousser au mauvais endroit vu que je ne sens pas cette fameuse poussée et n’ai mal nulle part. Je pousse vers l’anus, moi. Je voudrais bien pousser maxibou correctement !

Maxibou, tu sais ce que je crois ? que t’as pas vraiment besoin de moi, si ? Tu m’enverrais des signaux plus évidents, non, si t’avais besoin que je t’accompagne pour descendre ? Je vais quand même essayer de te guider avec Nathalie, mais surtout, tu vois, j’ouvre la voie pour que tu te saches appelé vers l’extérieur. J’ouvre le tunnel, la lumière feutrée que tu vois – j’espère qu’elle te sera douce -, c’est ton lieu d’accueil. On y est, on t’y attend. J’ouvre la porte, je l’étire bien. C’est le rideau rouge, ce sera ton apparition à nous, acteurs comme toi, mais aussi spectateurs. Je t’accompagne, du mieux que je peux, d’accord ?

Tu peux serrer plus fort mes mains ma chérie.

J’acquiesce pour signifier que j’ai entendu. Peux pas mon amour. Ah non, ce n’est pas que je ne peux pas, c’est que je n’en ai ni envie, ni besoin. Mon énergie est en bas, je concentre tout pour aider maxibou à sortir. C’est en bas que je dois pousser et ouvrir. Je lâche les mains de Florian à la fin de chaque poussée pour m’appuyer sur le ballon et redresser mon buste, ça m’aide à trouver un fond d’air pour poursuivre l’expire sur la poussée que je ne sens plus mais que Nathalie m’indique avec tant de délicatesse.

J’adore la sensation de poussée, aussi courte soit-elle dans le ressenti, c’est super marrant, je sens maxibou descendre, puis remonter quand mes poumons se remplissent à nouveau d’air. J’adore vraiment. Ce moment me plait à fond. Maxibou est juste là, à côté de nous, mais se cache encore de nous. L’apogée de la surprise, de la curiosité, de sa matérialisation à nous !

La tête apparaît. Tu veux mettre ta main Sandra ?

Non.

En fait, si, j’en ai super envie. Mais je ne veux pas lâcher les mains de Flo pendant que je pousse. Dilemme : je privilégie mon envie de toucher la tête ou bien l’aide que je donne à Maxibou. L’aide.

Y’a pas à réfléchir : il ne doit pas être bien dans cette zone étroite de mon corps. Je dois être présente à lui en priorité. Ce serait trop cool un miroir, je voudrais bien regarder ! Je crois que j’adorerais voir notre enfant sortir de moi ! à la fois, peut-être que je profiterais tellement du spectacle que je ne saurais plus acter ! pour la prochaine occas’, faudra essayer !

Il est sorti ? Mais c’est minus un bébé ! Ah non, je ne sais pas ce qui est sorti là, mais c’était un peu visqueux je crois bien, et filandreux surtout, ce n’était pas notre enfant. C’est vraiment sympa ce laps de temps où notre Maxibou est encore dans mon ventre mais à quelques centimètres de nous, à quelques secondes ou minutes de notre rencontre.

On va enfin se présenter les uns aux autres, échanger les regards ! On est encore un tout, lui et moi, mais il prend son autonomie en cheminant vers la sortie, et bientôt nous serons deux êtres différents, désunis physiquement, mais unis par autre chose, ce sera là, bientôt, un temps intemporel. C’est magique. Je plane un peu et suis à la fois présente à tous : à Maxibou, à Flo, à Nathalie. Je pense même à Louis. J’adore, j’adore.

Euh, ça, moins ! Ça brûle là. Je sens mon périnée tirer là. Ah ouais, je comprends ce que disaient les copines, ça brûle fort. Tu me masses Nathalie : c’est bizarre comme sensation le massage de je ne sais pas quelle partie de la vulve et les tiraillements du périnée en même temps. Julie m’avait dit qu’à Pithiviers, elle avait été massée au périnée pendant l’expulsion de Joséphine et qu’elle avait détesté. Moi, ça ne me dérange pas. Ça me permet même de focaliser sur autre chose que la brûlure en fait. Du coup, je me détends.

Sauf là, là, j’sais pas, cette infime seconde, c’était moins cool, d’ailleurs, tu l’as senti Nathalie, je me suis déplacée de quelques millimètres, et tu as enlevé ton doigt immédiatement. Tu l’as remis et là c’est okay pour moi. Comment tu fais pour savoir à ce point ce que je ressens ? Enfin bon, ça fait pas vraiment mal non plus, ça brûle quoi. C’est peut-être la tête ? Ah non ? Les épaules vous dites, déjà ? Ah mais, alors j’ai même pas senti la tête passer !

C’est fou quand même : on s’en fait une montagne dans nos fantasmes et au final, ça se fait sans douleur, dans le calme, dans l’apaisement, dans la tendresse.

Ça tire fort quand même mais je suis gênée uniquement par mes sacro-iliaques, j’ai vraiment très mal dans les articulations osseuses à ce niveau-là. C’est comme si ça s’écartelait, ça brûle, ça se désunit ; ça ne me fait pas du tout peur, je sais que ce que je ressens n’est pas ce qui se passe, je sais que si inflammation il y a, je me reposerai après l’effort et ça guérira… mais ça m’empêche de lever ma jambe droite et ça, ça tombe vraiment mal. Je sais que Maxibou passerait mieux et que la sensation de brûlure au périnée serait moins forte si je pouvais relever ma jambe droite, parce qu’en effet, c’est plus à droite que ça tire au niveau du périnée. Mais, à ce niveau osseux, la douleur paralyse l’os et les muscles : je ne peux pas mobiliser la hanche. Je dois essayer quand même : dépasser mon corps par le mental cette fois. Oh la laaaaa, j’ai déplacé mon pied de quelques centimètres, millimètres peut-être, relevé à peine ma jambe, mais pfiouu, ça m’a demandé un effort considérable, vertigineux même. Et peu propice et approprié à un moment où je dois consacrer mes forces à la poussée, à la descente de maxibou. Je demande à Flo de me soulever la jambe ? Si je fais ça, il va lâcher mes mains. J’ai besoin de ses mains dans les miennes. Je demande à Nathalie ? Je sens qu’elle tient Maxibou, elle ne va pas le lâcher pour me soulever la jambe eh eh… De toute façon, j’ai pas du tout envi de parler. Bon, tant pis, je vais accepter une position qui ne me convient pas vraiment, que ça tire, et je vais revenir à Maxibou.

Ehiii, Nathalie, je sens que tu introduis tes doigts, tu fais passer une épaule ou tu l’aides à tourner, non ? C’est chelou ça, comme sensation ! Ouuuuh, ça glisse tout seul, comme le truc filandreux de tout à l’heure mais en vachement plus gros, et à la fois, après le passage des épaules, le reste de son corps me parait vraiment minuscule et fin !

C’est riquiqui un bébé ! En tout cas, c’est vraiment génial ce ressenti ! Maxibou glisse comme un poisson, à une vitesse phénoménale, comme une anguille en fait. Heureusement que t’es là Nathalie, parce que je ne suis pas sure que Flo, ni moi, n’aurions pu rattraper un bébé qui glisse aussi vite tout en ayant nos mains jointes juste avant !

J’ai vraiment apprécié ce moment ! C’était incroyable, animal et féérique à la fois !

2h42 (sure !!)

Je me retourne, il est là. Déjà là ? Nathalie regarde l’heure :

2h43

Que 2h43 ? Mais comment c’est possible ? J’ai ressenti la première contraction vers 22h30 et je n’ai jamais eu la sensation d’être emportée par la douleur, d’être ravagée, rongée ou dépassée par elle, et encore moins de souffrir ! J’ai le sentiment de m’être simplement faite copine avec la douleur de sorte d’avoir pu accompagner Maxibou dans son épreuve. La douleur me disait quoi demander et quoi faire. Je n’ai décidé de rien sans elle, je n’ai jamais refusé ses messages. C’est tout. J’ai fait équipe. C’était vraiment chouette.

J’admire Florian. C’est le plus fort mon mec, il est à l’origine de cette situation extraordinaire.

Prendre Maxibou dans mes bras ? Oui ! Whaouuu, il glisse ! Me mettre sur le dos ? Ouais, je vais essayer, mais va me falloir de la force ! Ah, ça tire sur le cordon quand je prends Maxibou trop haut. C’est pas pratique.

On l’essuie, oui, il ne faut pas qu’il ait froid. Je m’allonge. Ouh c’est mouillé. C’est surprenant et fascinant d’avoir une personne nouvelle, connue et inconnue à la fois, comme ça, contre soi. Nathalie et Flo enlèvent les bâches souillées. Maxibou est sur mon ventre. Je regrette que tu ne puisses pas vivre ça en même temps que moi mon amour. J’ai envie de te céder cette place, mais je crois que ce ne serait pas dans l’intérêt de Maxibou, ni du mien. Je me fais passer encore avant, d’accord ? Je sais que tu sais ce que je suis en train de penser et je sais ce que tu penses. Tu es d’accord.

C’est ouf cette découverte, cette rencontre, que tu sois là, déjà, Maxibou !

Bienvenu à toi, je suis super contente que tu sois sorti mais je ne peux pas l’exprimer, c’est tout en moi, je suis crevée en fait, je relâche là ! Je pourrais m’endormir je crois. Me satisfaire de cet échange de regards que nous avons eu, de celui avec Flo, de te sentir chaud et en sécurité contre mon torse. Tu es là, c’est juste normal et évident, je suis comblée de te voir en forme et en chair.

Mais à la fois, je suis bien obligée d’admirer ce que et qui tu es : wahouuu, t’es grand comme ça quand même ! C’est toi, physiquement fini comme ça, qui étais dans mon ventre ! C’est fou. Comment t’as fait pour sortir aussi vite ? C’est dingue. Je suis épatée. Apaisée et en ébullition, effervescence, admiration, contemplation. En fait, je ne suis pas sûre que je pourrais m’endormir, quoiqu’épuisée.

Maintenant, je passe la main à Nathalie : elle va gérer la délivrance et les éventuelles sutures. La délivrance, il parait que ça fait super mal, que ça contracte hyper fort. Tiens ? C’est la première fois depuis le début de la soirée que je redoute une sensation. J’ai rebranché mes cerveaux mammalien et supérieur ou quoi ? Il était bien mon cerveau reptilien. Je dois me détendre, on verra bien si ça fait mal ou pas. Si je dois encore accueillir la douleur. Mais j’ai vraiment plus du tout envie d’avoir mal. J’ai envie d’être passive maintenant. J’ai vachement travaillé pour aider Maxibou à sortir. Maintenant, je voudrais bien n’être que dans l’extase et le repos. Je décide de vraiment vraiment laisser Nathalie gérer. Elle me dira si elle a besoin de quoi que ce soit et je verrai bien si j’ai mal. Maintenant, je m’occupe d’admirer et de contempler l’homme magnifique qu’est Florian et le petit d’Homme splendide qu’est notre puîné – il ressemble à une tortue sioux je trouve, j’aime beaucoup -. Je veux profiter de ce nouveau chemin de vie qui s’offre à nous.

Mais quand même, j’ai envie d’un câlin sandwich, avec Maxibou sur le ventre, Flo contre moi et Nathalie nous enveloppant encore de sa bienveillance et de sa douceur. Je suis dans le bien-être et la découverte, mais je sais que c’est grâce à eux aussi. Maxibou semble tranquille, serein.

Mais – comment est-ce possible d’être autant dans l’ambivalence ? – j’ai aussi envie de discuter avec vous trois, d’assister à l’expulsion du placenta, de le voir, de toucher la poche du liquide amniotique – douce comme de la soie parait-il -, j’ai envie de tout recommencer – ça a été tellement vite -, je veux encore vivre ce temps de latence tellement magique de l’enfantement, je suis épuisée, j’ai surtout envie de dormir en sentant le corps chaud de notre enfant contre le mien.

Peut m’importe de ne plus jamais le sentir en moi. Je suis heureuse, il est là. On est une famille agrandie.

On a une chance inouïe.

Extrait du journal de l’OPAC38 Extrait du journal de l’OPAC38
premier trimestre 2014
Extrait de la Gazette de Saint Alban (38) Extrait de la Gazette de Saint Alban (38)
mars 2014.